Des vasières sous la menace des huîtres sauvages japonaises
Située au nord du Parc naturel marin de l’estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis, la Baie de l'Aiguillon constitue une zone d'importance internationale majeure pour l'accueil des oiseaux hivernants et migrateurs tels que la Barge à queue noire et l’Avocette élégante, ce qui a valu son classement en Réserve naturelle nationale.
Ses 3 700 hectares de vasières naturelles servent de garde-manger et de zone de quiétude essentiels à leur survie lors de leurs longs voyages entre l’Europe et l’Afrique.
Souvent perçues comme des étendues de « vase » sans intérêt, les vasières constituent des écosystèmes d'une richesse exceptionnelle : elles filtrent et épurent l'eau grâce aux organismes qu'elles abritent, elles assurent la production de plancton à la base de la chaîne alimentaire, elles stockent le carbone dans leurs sédiments, elles atténuent l'érosion côtière en absorbant l'énergie des vagues et elles constituent des frayères et nurseries pour de nombreuses espèces de poissons.
Aujourd'hui, plus de 300 hectares de ce patrimoine naturel sont colonisés par des récifs d'huîtres sauvages s’agglomérant sur des vestiges d'anciennes installations d’élevage d’huîtres japonaises et de moules de bouchot. Ces concessions ont été abandonnées lors de la crise du parasite Mytilicola. Dès les années 1960, les élevages ont lentement glissé vers l’aval de la baie afin d’augmenter les fréquences et durées de submersion par la mer, créant ainsi des conditions favorables au crustacé parasite.
Appelés localement « crassats », les gisements sauvages perturbent gravement l’équilibre de la baie : piège à sédiment favorisant la sédimentation, modification locale de la courantologie, concurrence alimentaire pour les espèces animales sauvages et les coquillages d’élevage, habitat de nombreuses espèces exogènes. Ils représentent aujourd’hui près de 3 400 tonnes de coquillages qui étouffent littéralement les vasières, privant les oiseaux de leurs zones d'alimentation naturelles. Les oiseaux limicoles, qui se nourrissent en fouillant la vase avec leur bec, ne peuvent plus accéder aux vers marins, bivalves et autres invertébrés dont ils dépendent.
Un premier succès qui encourage la poursuite
Entre 2019 et 2021, un premier chantier expérimental mené dans le cadre du projet européen Life Baie de l’Aiguillon a déjà permis de supprimer 7,6 ha de gisements purs d’huîtres sur une surface de 118 hectares de vasières. Les résultats sont encourageants : les zones nettoyées ont à ce jour retrouvé leur fonctionnalité écologique, avec le développement d’un biofilm naturel de micro-algues et une recolonisation par les communautés de faune benthique (vers marins, bivalves, hydrobies) typiques des vasières. Les oiseaux fréquentent à nouveau les secteurs restaurés. Les vasières retrouvent leur rôle de "station-service" pour les millions d'oiseaux migrateurs qui traversent l'Europe. Le suivi de ces zones restaurées doit se poursuivre au regard des capacités de recolonisation de l’huître japonaise.
Un million d’euros pour un chantier innovant et exemplaire
C’est au regard des résultats obtenus lors du chantier expérimental, que l’OFB et la LPO, co-gestionnaires de la réserve ont acté dans le cadre du nouveau plan de gestion 2024-2033 validé par l’État, la poursuite du nettoyage des infrastructures d’élevage d’huîtres et de moules de bouchot abandonnés dans l’objectif de restauration de vasières (habitat d’intérêt communautaire). Pour cette nouvelle étape (2025-2029), deux sources de financement ont été mobilisées : 720 000 euros par l’OFB et 350 000 euros via le programme Life espèces marines mobiles cofinancé par l’Union européenne.
Pour mener cette mission délicate, une machine amphibie de nouvelle génération a été spécialement conçue par l'entreprise SAS CTAT. Elle est capable d'intervenir sur les substrats meubles de la baie, avec un rendement supérieur à l’expérimentation précédente, tout en respectant la sensibilité du milieu naturel. Le chantier s’étalera de 2025 à 2029, d’août à fin février, pour éviter de perturber la période de production et de commercialisation des moules et des huîtres.
L'objectif : broyer 25 hectares de gisements purs d'huîtres sauvages permettant de restaurer plus de 180 hectares de vasières.
L’opération de restauration, unique par son ampleur et ses méthodes innovantes, sera reproduite avec une machine adaptée sur deux autres sites de la façade Atlantique ces prochains mois dans le cadre du projet Life espèces marines mobiles : la Réserve naturelle nationale de Moëze-Oléron gérée par la LPO et la Réserve nationale de chasse et de faune sauvage du Golfe du Morbihan gérée par l’OFB. Elle témoigne de la volonté française de concilier activités humaines et préservation de la biodiversité dans les espaces littoraux. Elle aurait pu figurer comme site pilote du Plan national d’action « Agir pour restaurer la nature », déclinaison du règlement européen, dont la publication est attendue fin 2026. Elle pourrait donc faire école dans d'autres sites européens confrontés à des problématiques similaires.