Possession française depuis 1858, Clipperton est un atoll corallien isolé dans l’océan Pacifique, à plus de 1 000 km des côtes mexicaines. Aussi appelée île de la Passion, ce minuscule territoire de 6 km2, dont à peine 170 hectares sont émergés, est un site providentiel pour les oiseaux marins en raison de son isolement géographique et surtout de son lagon d’eau douce, unique au monde. S’y trouve notamment la plus grande colonie de Fou masqué, avec environ 35 000 couples nicheurs — soit près de 70% de la population mondiale. Cette avifaune exceptionnelle est aujourd’hui en danger.
Rat noir contre crabe rouge
Introduit accidentellement au début des années 2000 à la suite d’un naufrage, le Rat noir a profondément modifié l’écosystème de l’île. Principale source d’alimentation des rongeurs, la population de Crabe rouge de Clipperton est passée d’environ 11 millions en 1968 à moins de 80 000 aujourd’hui. Or la disparition de ces crustacés herbivores entraîne la prolifération de lianes rampantes, lesquelles grignotent l’espace disponible au sol pour la nidification des oiseaux. La pollution plastique ou la montée du niveau de l’océan en lien avec le réchauffement climatique accentuent encore la dégradation du site.
Dans ce contexte et avec le soutien du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, du ministère de la Transition écologique, du Gouvernement de Polynésie française et de l’Office français pour la biodiversité, la LPO a été mandatée pour évaluer les possibilités d’une restauration écologique de Clipperton. Transportée à bord du Persévérance, le voilier océanographique du médecin explorateur Jean-Louis Etienne, une équipe de 5 naturalistes a séjourné sur place du 11 au 22 novembre et notamment étudié la faisabilité d’éliminer les rats à l’échelle de l’atoll, en limitant les impacts sur les autres espèces.
Selon la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), les espèces exotiques envahissantes figurent aujourd’hui parmi les principales causes d’érosion de la biodiversité mondiale. La situation est particulièrement critique en Outre-mer, où le caractère insulaire des écosystèmes exacerbe la vulnérabilité des espèces locales. Restaurer Clipperton en éliminant les rats s’inscrit dans une stratégie globale de lutte contre ces invasions biologiques.
Il y a urgence à agir. Toutes les espèces d’oiseaux qui nichent sur Clipperton sont déjà menacées à l’échelle mondiale. Cela va se dégrader davantage si on n’élimine pas les rats. L’expérience a déjà été entreprise avec succès en Polynésie et dans les Terres australes françaises. Protéger la biodiversité unique de ses lointains territoires ultramarins inhabités est une responsabilité et un acte de souveraineté pour la France.