Dégradation des océans : une histoire de fous

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La population globale des oiseaux de mer a diminué de moitié au cours des cinq dernières décennies. Le déclin du Fou de Bassan, pourtant parmi les plus résilients, indique que le niveau de perturbation des écosystèmes marins atteint un seuil critique. Ce signal d’alarme inquiétant doit conduire à la transformation urgente des politiques maritimes, en particulier sur la pêche.

Deux fous de Bassan

Fous de Bassan © Yann Libessart

Fin novembre 2020, une équipe internationale de chercheurs a publié une étude scientifique sur la survie interannuelle des fous de Bassan qui se reproduisent sur l'île Rouzic, au sein de la réserve naturelle nationale des Sept-Iles (Côtes d’Armor) gérée par la LPO. La population de cette colonie était en croissance constante depuis son installation en 1939. Elle a décliné depuis 2010 et stagne actuellement autour de 21000 couples. 

Entre deux séjours bretons, les fous de Rouzic passent la période inter-nuptiale (novembre à janvier) au large de l'Europe occidentale, de l'Afrique de l'Ouest, ainsi qu’en Méditerranée. Grâce à un suivi d’individus équipés de géolocateurs, les chercheurs ont constaté une chute brutale des taux de retour migratoire de ces oiseaux, de 100 % en 2006-2007 à moins de 30 % après 2015. En parallèle, la production moyenne de jeunes fous dans la colonie de Rouzic, qui était de 80% dans les années 90 (1991-97), s’est effondrée à 40% entre 2012 et 2019, avant de remonter à 63% en 2020. 

Ces chiffres illustrent une baisse marquée des probabilités de survie des individus adultes qui suggère une compétition alimentaire avec la pêche industrielle autour du maquereau, proie favorite du Fou de Bassan. Elle coïncide en effet avec la chute du stock de ce poisson dans l’Atlantique Nord-Est en deçà de ses limites biologiques, dans un contexte où les quantités capturées par les pêcheurs restent bien supérieures à ce que préconisent les experts du CIEM (Conseil International pour l'Exploration de la Mer) pour garantir une pratique durable. La certification MSC (Marine Stewardship Council) de toutes les pêcheries au maquereau en Atlantique Nord-Est a d’ailleurs été suspendue le 2 mars 2019.

Requiem pour un Fou

Les fous de Bassan composent également la majeure partie des 200 000 oiseaux marins qui sont chaque année victimes collatérales de la pêche dans l’Union Européenne, capturés accidentellement par les hameçons ou les filets. Les eaux portugaises, que les pensionnaires de Rouzic traversent au cours de leurs migrations, sont en cela particulièrement redoutables, au même titre que les côtes de l’Afrique de l’Ouest, tristement célèbres pour leurs pêches illégales qui tuent les oiseaux marins en grand nombre, parfois de manière intentionnelle pour l’export vers les marchés asiatiques.

Une extension de la réserve naturelle nationale des Sept-Iles est actuellement en projet pour y améliorer les conditions de reproduction et de repos du Fou de Bassan, son hôte emblématique.

A une échelle plus globale, des mesures urgentes sont nécessaires pour tenter de restaurer l’environnement marin. Le Fonds Européen pour les Affaires Maritimes et la Pêche (FEAMP) 2021-2027 est en cours de négociations. Une consultation publique est ainsi ouverte jusqu’au 20 décembre par le Ministère de la Mer afin de recueillir l’avis des citoyens sur le programme opérationnel de la France. 

Voici les propositions de la LPO :

  • Développer une gestion écosystémique des prélèvements halieutiques à travers une pratique durable, via une renégociation des accords de pêche internationaux.
  • Arrêter les pêches minotières (productrices de farines de poissons pour l’industrie agroalimentaire), qui détruisent les réseaux trophiques marins, affament les oiseaux de mer comme les fous de Bassan et pillent les ressources marines africaines. Deux tiers des maquereaux pêchés en Atlantique nord-est seraient destinés à la farine animale.
  • Suspendre les subventions européennes soutenant des pratiques de pêche non durables. 
  • Renforcer la législation internationale et développer les contrôles et la collecte de données à bord des navires de pêche afin de limiter les captures collatérales le long de la voie de migration de l’Atlantique Nord-Est à Afrique de l’Ouest. 

 

Référence de l’article (en anglais) : Grémillet, D., Péron, C., Lescroël, A., Fort, J., Patrick, S. C., Besnard, A., & Provost, P. (2020). No way home: collapse in northern gannet survival rates point to critical marine ecosystem perturbationMarine Biology167(12), 1-10.

Partenaires de la recherche : LPO, CNRS, les Universités de La Rochelle et de Liverpool, Muséum National d’Histoire Naturelle, Point Blue Conservation Science (USA), Ecole Pratique des Hautes Etudes.