Le crash-test de la Stratégie Nationale Biodiversité

Actualité

À travers un livre blanc publié en mai 2020 « Pour que vive la nature », puis un livre vert en juillet 2022 « Nouvelles propositions pour une stratégie nationale de la biodiversité ambitieuse, efficace et partagée », les organisations de protection de la nature réunies au sein du collectif Cap Nature1 ont fait connaître leurs attentes vis-à-vis de la future stratégie nationale de la biodiversité et ont également participé activement à son élaboration.

Cette stratégie devant bientôt être rendue publique, nos organisations ont souhaité formuler ce qu’elles attendent de cette stratégie, sous la forme de vingt questions-clés au gouvernement. C’est à travers les réponses qui seront apportées à ces questions que nos organisations jugeront si cette stratégie est effectivement susceptible de contribuer de manière décisive à enrayer l’érosion de la biodiversité et à participer à sa reconquête.

A. Les cibles et les Indicateurs

Nous avons insisté dans notre livre vert sur la nécessité de doter la SNB d’un nombre restreint de « cibles-clés » (5 à 10), assorties d’objectifs quantitatifs et d’indicateurs déjà disponibles et nous avons fait des propositions concrètes dans ce domaine.

Question : quelles sont les cibles-clés retenues par la SNB et sont-elles dotées d’objectifs ambitieux, c’est-à-dire permettant de mettre effectivement fin à l’érosion de la biodiversité, et d’indicateurs permettant de juger de l’atteinte de ces objectifs ?

B. Les aires protégées et la restauration des écosystèmes

Lors de la quinzième COP (Convention des pays signataires de la convention sur la diversité biologique) de décembre 2022 à Montréal, le gouvernement français s’est engagé en faveur de la protection effective d’ici 2030 d’au moins 30 % des terres émergées, des eaux continentales, des surfaces côtières et des océans en portant une attention particulière aux surfaces essentielles pour la biodiversité, le fonctionnement des écosystèmes et les services. La France considère que l’objectif des 30 % est pratiquement atteint, mais une partie significative des surfaces prises en compte dans ce total ne correspond pas à des aires effectivement protégées, au sens international du terme. Parallèlement, la SNB et la loi Climat et résilience fixent l’objectif de placer 10% du territoire en protection forte, alors même que les pressions d’origine anthropique s’accroissent sur les surfaces aujourd’hui en protection forte.

Questions : le gouvernement va-t-il décliner au niveau national les ambitions qu’il a manifestées au plan international pour renforcer la protection de la biodiversité dans l'ensemble des surfaces incluses dans les 30 % et la faire correspondre aux normes internationales ? Va-t-il s’engager à traduire dans les faits la notion de protection forte en excluant notamment les EnR et certains types de pêche, comme les arts trainants et les fileyeurs, dans ces zones que le président de la République a qualifié de « pleine naturalité » ? Dans les deux cas, le gouvernement va-t-il apporter les moyens humains et matériel nécessaires au respect des mesures de protection ?

La cible 2 de la COP 15 prévoit que « au moins 30 % des milieux naturels dégradés seront en restauration d’ici 2030 ». De même, le projet de règlement européen sur la restauration des écosystèmes prévoit que des mesures de restauration doivent être mises en place sur au moins 20 % du territoire européen - marin et terrestre – d’ici 2030, avec des objectifs par type d’écosystèmes.

Questions : Le gouvernement, qui s’est félicité de la proposition européenne, va-t-il se saisir de cet enjeu de la restauration du bon état des écosystèmes ? et si oui, comment va-t-il l’inscrire dans l’objectif 1 de la Stratégie nationale, tant en termes de cibles que de mesures opérationnelles ? »

C. La transition agro-écologique de l’agriculture

La stratégie de l’Union Européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 « Ramener la nature dans nos vies » publiée en mai 2020 prévoit que, en 2030, « la superficie cultivée en agriculture biologique représente au moins 25 % des terres agricoles et l'adoption de pratiques agroécologiques croît de manière significative ».

Questions : le gouvernement fait-il sien cet objectif et si oui, quel phasage et quels moyens sont proposés, à rebours du désengagement présent de l’État des soutiens au maintien de l’agriculture biologique ?

La Stratégie européenne pour la biodiversité prévoit également qu’au moins 10 % de la superficie agricole se trouve sous des caractéristiques paysagères à haute diversité.

Question : est-ce que le gouvernement, qui s’est félicité de la proposition de la Commission européenne, va porter cet objectif de 10 % d’infrastructures agro-environnementales au titre de la restauration des écosystèmes agricoles ?

Le nouveau cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal fixe les objectifs de réduire le risque lié aux pesticides ainsi que l'excès de nutriments dans l'environnement de 50 % d'ici 2030, objectifs déjà présents dans la Stratégie européenne en faveur de la biodiversité, qui contient aussi un objectif de réduction de 50 % des pesticides. Cet objectif a été porté par le Président de la République dans sa lettre aux Européens à la veille des dernières élections européennes. Cependant, lors de son annonce des grandes lignes du futur plan Ecophyto 2030, la Première Ministre ne l’a pas repris.

Questions : le gouvernement fait-il sien ces objectifs et maintient-il l’objectif de réduction de 50 % des pesticides et des excès de nutriments et si oui, quelle trajectoire prévoit-il et quels moyens va-t-il mobiliser ?

D. Le financement

Publié en Novembre 2022, le récent rapport conjoint de l’IGF (Inspection générale des finances) et de l’IGEDD (Inspection générale de l’environnement et du développement durable) évalue à 4 milliards d’euros sur cinq ans (2023-2027) les moyens financiers bruts à mobiliser pour la biodiversité (Tableau 3 page 21). De même, la conférence de la COP 15 évalue au niveau mondial à 200 milliards de dollars US par an les moyens nouveaux à mobiliser, ce qui, pour notre pays qui représente 3% du PIB mondial, conduirait à un financement complémentaire de l’ordre de 6 milliards par an (y compris l’aide internationale).

Questions : le gouvernement valide t’il ces estimations officielles relatives aux financements nationaux et s’engage-t-il à les mobiliser ces financements ? Comment la France va-t-elle calculer sa juste part dans l’augmentation de l’effort mondial de 200 milliards de dollars (financements publics et privés, nationaux et internationaux) prévu par la COP 15 ?

Le même rapport considère (Tableau 4 page 24) qu’environ 56% de ces dépenses « peuvent être couverts par des politiques et financements existants ou annoncés, à condition d’intégrer les enjeux de biodiversité ». Par exemple, le fonds friche, lancé en 2021 et mentionné dans le rapport, ne prévoyait pas d’opérations de renaturation. Comme l’indique sa présentation « il s’agit de favoriser la réalisation des projets qui visent à produire des logements, à participer à la relance de la construction, ainsi qu’à la relocalisation d’activités industrielles. »

Question : le gouvernement va-t-il intégrer ces besoins de financement dans une loi de programmation pluriannuelle et s’engage-t-il à présenter en 2023 les critères permettant d’« intégrer les enjeux de biodiversité » dans des politiques sectorielles (aides nationales agricoles...) ou plus générales (Fonds friche, fonds vert, renouvellement forestier, renaturation en ville...) ?

E. Les subventions néfastes

Le rapport IGF-IGEDD estime (Tableau 2 page 11) que les subventions de l’État et de l’UE dommageables à la biodiversité représentent un minimum de 10,2 Md€ en 2022, soit un montant 4,4 fois supérieur à celui de leurs dépenses favorables, et que les subventions de la Politique Agricole Commune (PAC) représentent 63% du total de ces subventions dommageables. Il cite la réorientation de la PAC et de sa déclinaison au niveau national, à travers le Plan Stratégique National (PSN), parmi les stratégies de réduction et/ou de réorientation existantes à court et moyen terme (rapport IGF-IGEDD, p 14). Il constate en outre que ces dépenses ne diminuent pas, malgré les engagements pris dès 2010 de les réduire (Conférence d’Aichi) et fait des propositions pour les réduire. Au niveau mondial, la conférence de la COP 15 estime qu’il faut réduire ces dépenses défavorables de 500 milliards de dollars US d’ici à 2030.

Questions : quel objectif quantitatif de réduction et de réorientation de ces subventions défavorables le gouvernement retient-il à l’horizon 2027 ? S’engage-t-il à publier un plan de réduction des subventions dommageables en 2023 et à engager des réductions substantielles dans le PLF 2024 ? S’engage-t-il à une réorientation en faveur de la biodiversité du Plan Stratégique National de la PAC lors de ses révisions annuelles et dès cette année et à transférer plus d’argent européen vers les mesures agro-environnementales et climatiques et vers les Paiements pour Services Environnementaux lors de la révision à mi-parcours de 2025 ?

F. La gouvernance

Le rapport IGF-IGEDD estime (page 15) que « À l’image des enjeux climatiques, les politiques de biodiversité appellent un pilotage interministériel et une déclinaison territorialisée » et que « le nouveau secrétariat général pour la planification écologique (SGPE) devra être en charge non seulement des arbitrages stratégiques et budgétaires mais aussi de l’animation et du suivi de la SNB 2030, en partenariat avec les directions métier. Le SGPE devra notamment piloter l’implication de l’ensemble des ministères et particulièrement ceux concernés par les pressions anthropiques les plus importantes (agriculture, pêche, transports, logement, énergies) ».

Question : le gouvernement valide-t-il cette proposition d'un pilotage de la SNB par le SGPE et, au niveau politique, par le Premier Ministre ?

Un système de redevabilité doit être mis en place pour permettre de suivre la mise en œuvre de la SNB (et des engagements pris à Montréal).

Question : le gouvernement s’engage-t-il sur un rapport annuel (ou bisannuel ?) au Parlement, précédé d’un avis du Comité National de la Biodiversité ?

La question du renforcement de la cohérence et de la complémentarité des politiques biodiversité et climat se pose pour tous les plans, programmes et stratégies relevant de l’action de différents ministères et susceptibles d’influer sur la biodiversité : plans sur les forêts, l’agriculture, la bioéconomie, la mer et les façades, l’énergie, l’urbanisme...

Question : en complément d'un pilotage par le SGPE, le gouvernement envisage-t-il d’élargir les missions du Haut Conseil pour le Climat à la biodiversité et d’intégrer en son sein des spécialistes de la biodiversité ?

Notre livre vert soulignait fortement la nécessité de bien articuler la SNB avec les politiques mises en place au niveau des collectivités territoriales, en particulier les Régions, dont plusieurs ont déjà élaboré leurs stratégies.

Question : quelles propositions concrètes le gouvernement fait-il pour assurer cette bonne articulation et notamment l'association des Régions, départements et Intercommunalités à la définition des plans d'action de la SNB ?

La mobilisation de tous les acteurs de la société, et en particulier les acteurs économiques, était une ambition forte de la précédente SNB mais beaucoup reste à faire dans ce domaine. Le dispositif « entreprises engagées pour la nature » n’a mobilisé jusqu’à maintenant qu’environ 200 entreprises.

Question : quelles propositions concrètes le gouvernement fait-il pour renforcer la mobilisation des acteurs économiques ? Pour les entreprises soumises à un reporting extra-financier, le gouvernement va-t-il rendre obligatoire une stratégie biodiversité pour les entreprises avec la mesure de leurs impacts sur la biodiversité, la mise en place d’objectifs et un plan pour les atteindre ainsi que des mesures correctrices fortes en cas de non atteinte de ces objectifs ?

 

1  ASPAS, FERUS, FNE, FNH, H&B, LPO, OPIE, SFDE, SFEPM, SHF, SNPN, WWF

Documents à télécharger

Le crash-test de la Stratégie Nationale pour la Biodiversité
20 questions clé des ONG de Cap Nature
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