L’Anguille européenne est classée en danger critique d’extinction par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) depuis 2008 au même titre que le Vison d'Europe, le Rhinocéros de Java ou l’Orang-outan. Ses populations se sont effondrées d’environ 90% en à peine un demi-siècle, en raison de la dégradation de ses habitats naturels et de la pêche. Aucune méthode de reproduction artificielle n’existe pour envisager l’élevage industriel de cette espèce amphihaline, partagée entre rivières et océan. En réponse, le règlement européen du 18 septembre 2007 a institué des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes en contraignant les États membres à élaborer un Plan de gestion de l’anguille (PGA) avec des mesures adaptées aux conditions locales.
Située au cœur de son aire de répartition, la France a une responsabilité considérable dans la protection de l’anguille. Mis en place en 2010, le PGA français prévoyait la réduction et l’encadrement de la pêche professionnelle ainsi qu’une forte limitation de la pratique récréative. Après quinze ans de mise en œuvre, les objectifs sont loin d’être atteints, démontrant la nécessité de mesures de gestion plus strictes pour assurer le rétablissement de l’espèce. Les scientifiques du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) préconisent, depuis 2022, l’arrêt de toute pêche à l’anguille, à tous les stades de son développement.
Dans le sens inverse des anguilles
Le poisson est en effet pêché à trois étapes de son cycle de vie : civelle (alevin de moins de 12 cm) ; anguille jaune (croissance en eau douce) ; anguille argentée (reproduction en eau de mer). Avec plus de 90% des captures mondiales, la France est l’un des seuls pays autorisant la pêche à la civelle, y compris à l’intérieur d’espaces protégés comme la Réserve naturelle nationale de la Baie de l’Aiguillon, cogérée par la LPO.
Les pêcheurs professionnels sont les seuls à pouvoir pêcher les civelles. Cette pratique légale peut toutefois servir de paravent à un trafic international extrêmement lucratif, où le prix au kilo peut atteindre 6000€. Leur commerce en dehors de l’UE est pourtant interdit par la convention CITES depuis 2010.
Un projet d’arrêté ministériel actuellement soumis à la consultation publique prévoit de réduire légèrement le quota actuel de pêche à la civelle. Ce dernier passerait de 65 tonnes à 55 tonnes pour la saison 2025-2026 puis à 43 tonnes pour la saison 2026-2027, réparties entre les marins-pêcheurs (87%) et les pêcheurs professionnels en eau douce (13%). 60% des captures seront destinées à des opérations de repeuplement, réalisées à plus de 90% hors de France et jugées inefficientes.
Ces quotas demeurent trop élevés pour permettre un rétablissement de l’espèce, dont la situation critique exige des mesures drastiques.
Par ailleurs, la commission européenne vient de demander aux états membres de mieux protéger les aires marines protégées (Natura 2000) face aux activités de pêche. Elle demande l’application rigoureuse des directives Oiseaux et habitat afin d’éviter la perturbation des espèces sur les sites.
Aux côtés d’autres associations de protection de la nature, de Gilles Bœuf, ancien Président du MNHN et Président d’Ethic Océan et avec le soutien de la Fédération nationale de pêche et des milieux aquatiques représentée par son Vice-Président Jean-Paul Doron, et de restaurateurs tels que Christopher Coutanceau, Chef 3 étoiles, la LPO demande donc l’instauration d’un moratoire total sur la pêche et la commercialisation de l’anguille en France, couplé à une réduction des autres pressions anthropiques (pollution, discontinuité écologique, asséchement des zones humides, réchauffement climatique, etc.).
Nous invitons également nos concitoyens à participer aux consultations publiques en cours sur la réglementation de la pêche à l’anguille, afin de soutenir cette position.
C’est un appel au secours que je qualifie de pathétique que nous lançons ce matin face à l’indifférence coupable de l’exécutif. On assiste à l’agonie d’une espèce et l’Etat refuse de prendre la mesure la plus élémentaire qui s’impose : un moratoire sur la pêche à tous les stades de vie.
Allain Bougrain Dubourg Président de la LPO
On m’a appris depuis tout petit en halieutique, en sciences des pêches, qu’on ne pêche jamais une espèce qui ne s’est pas déjà reproduite une fois. Là on donne une chance à l’espèce de continuer à se perpétuer” “La pêche n’est pas la seule raison de l’effondrement, la pollution, les barrages, les nouvelles maladies liées aux activités humaines comme la bouche rouge.
Gilles Boeuf Ex-Président du MNHN
Cela fait des années que nous ne cessons d’alerter les autorités pour qu’il y ait une politique nationale ambitieuse sur la restauration des poissons migrateurs et notamment de l’anguille. Dès 2008, au moment des négociations du règlement européen, nous avons demandé que soit mis en place un moratoire de toutes pêcheries confondues et ce pour une période minimum de 5 ans avec un suivi et une évaluation
Jean-Paul Doron Vice-Président Fédération nationale de pêche
On marche sur la tête. Quand je vois qu’on va pêcher des alevins... Et comment voulez-vous que ça marche si on ne les laisse pas se reproduire. Il y a une saisonnalité, comme pour le thon rouge, pendant une période de l’année on ne le mange pas. On peut aussi mettre des tailles légales de capture où le produit s’est déjà reproduit plusieurs fois. Il y a aussi d’autres produits à travailler Il y a des solutions simples en réalité.
Christopher Coutanceau Chef 3 étoiles