Les jachères victimes de la guerre en Ukraine

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Les prétendus impacts du conflit russo-ukrainien sur la sécurité alimentaire de l’Europe servent abusivement d’arguments pour détricoter une des rares avancées écologiques en matière d’agriculture, au détriment de la biodiversité.

Dès l’an dernier, la France a été prompte à saisir l’opportunité offerte par la Commission Européenne de déroger à l’interdiction de broyage ou de fauchage des jachères prévue par l’arrêté du 26 mars 2004, qui impose de ne pas procéder à ces opérations pendant une période de quarante jours consécutifs compris entre le 1er mai et le 15 juillet. L’État vient d’ouvrir une consultation publique jusqu'au 7 août pour renouveler de façon rétroactive cette dérogation pour 2023.

Participez à la consultation publique

Selon l’argument avancé en préambule : « l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a provoqué une forte hausse des prix des produits de base et une incidence sur l’offre et la demande. Pour remédier à ces situations, il convient d’accroître le potentiel de production agricole de l’Union européenne. » Dans une tribune publiée en juin dernier, plus de 3000 scientifiques démontrent à l’inverse que les variations à court terme de l'offre et des prix liées au conflit n'indiquent aucun risque pour la souveraineté alimentaire, et que notre sécurité alimentaire est surtout menacée par le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité, essentielle pour la fertilité des sols et la pollinisation de nombreuses cultures.

La Commission européenne affirme elle-même que la stabilité de l’approvisionnement alimentaire de l’UE n’est pas menacée. Cependant, notre forte dépendance aux intrants chimiques est fortement questionnée, tout comme l’est notre système de répartition des matières premières, favorisant notamment la spéculation, en grande partie responsable de la forte hausse des prix des produits de base agricole, et des inégalités d’accès à ces derniers. Aujourd’hui nous gaspillons 1/3 de notre production agricole (récolte, stockage, transformation, distribution, consommation…), 2/3 de nos céréales sont captées par l’alimentation du bétail, et 10% de nos céréales échappent au circuit de l’alimentation pour finir en agro-carburant.

Les jachères ne représentent que 300 000 hectares, soit moins de 2 % de la surface totale des terres arables françaises, et la grande majorité est constituée de sols pauvres ou difficiles d’accès présentant un potentiel de production très limité. Elles jouent en revanche un rôle écologique essentiel : amélioration de la qualité des eaux, lutte contre l’érosion, restauration des sols, protection intégrée des cultures, séquestration du carbone et accueil de la faune sauvage. L’Alouette des champs, la Perdrix grise ou encore l’Œdicnème criard, trois espèces d’oiseaux en mauvais état de conservation, survivent notamment grâce à ces zones de quiétude. En mai 2023, une étude du CNRS pointait clairement du doigt la responsabilité de l’intensification de l’agriculture dans la disparition des oiseaux des champs, qui ont perdu 60% de leurs effectifs en à peine 40 ans.

Le réchauffement climatique et le déclin alarmant de la biodiversité auxquels nous assistons ne nous laissent aucune marge de manœuvre pour rétropédaler sur les quelques rares avancées environnementales qui ont été instaurées dans le secteur agricole.