Le Sénat veut continuer de bétonner la France

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Une proposition de loi sénatoriale tente d’assouplir les objectifs législatifs de lutte contre l’artificialisation des sols et ainsi, perpétuer un aménagement non durable du territoire.

Selon le rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité publié en 2019 par l’IPBES, près d’un million d’espèces sont menacées d’extinction à l’échelle planétaire. Les scientifiques ont désigné la cause principale de cet effondrement sans précédent : le changement d’utilisation des sols. Il est en grande partie favorisé par l’expansion continue de l’urbanisation au détriment des espaces agricoles, naturels et forestiers. C’est ce que l’on appelle l’artificialisation des sols.

Entre 20 000 à 30 000 hectares sont artificialisés chaque année en France, soit l’équivalent de trois fois la surface de Paris. Afin de stopper cette fuite en avant, la stabilisation de la surface totale des sols artificialisés en 2050 est devenue un objectif national consacré par la loi dite Climat et Résilience du 22 août 2021. La première étape de ce plan « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN), issue d’une proposition de la Convention citoyenne sur le climat initiée en 2019 par le Président de la République, consiste d’abord à diviser par deux le rythme d’artificialisation entre 2021 et 2030 par rapport à la décennie 2010 - 2020, au cours de laquelle 250 000 hectares ont été bétonnés. Ce défi aussi ambitieux que nécessaire est à la hauteur de l’enjeu : renforcer les capacités nationales de production agricole et la souveraineté alimentaire de la France, tout en préservant ses milieux naturels.

Cependant, une proposition de loi, qui sera étudiée en commission spéciale au Sénat à partir du 7 mars, souhaite modifier la loi Climat et Résilience, ainsi que le Code de l’urbanisme, en introduisant des dérogations «visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette», qui auront en réalité surtout pour effet de pérenniser le modèle d’aménagement actuel, responsable de cette situation.

Sénateurs hors-sol

D’emblée, le groupe de sénateurs à l’origine de la proposition demande de reculer d’un an le calendrier d’application du ZAN au prétexte de pouvoir mieux planifier sa mise en œuvre. Ils proposent ensuite de ne pas comptabiliser l’artificialisation de différents types de projets selon diverses dérogations qui pourraient permettre d’exclure plus de 60 000 hectares d’ici à 2030, soit près de 50% de sols artificialisés supplémentaires par rapport aux objectifs fixés ! Ces sénateurs souhaitent par exemple la définition de périmètres de densification au sein desquels la construction sur les parcs et jardins ne serait plus considérée comme de l’artificialisation. Autre bizarrerie : un terrain de football serait classé parmi les espaces naturels ! Enfin, ils demandent à limiter les contraintes pour les zones côtières et les communes de montagne, alors que le littoral et les régions montagneuses, espaces à la biodiversité particulièrement riche et fragile, figurent déjà parmi les plus urbanisés de France.

Seuls deux points positifs notables dans le texte sénatorial : d’une part, l’instauration d’un droit de préemption communal dans les espaces propices à la renaturation ou au recyclage foncier et, d’autre part, d’un sursis à statuer sur les demandes de permis de construire susceptibles de compromettre les objectifs de réduction du rythme de l’artificialisation. Il s’agit de vrais outils concrets, répondant à l'objectif de faciliter l'application du ZAN, contrairement au reste des propositions.

Repenser la ville

La protection et la renaturation des sols doivent impérativement devenir la norme : elles constituent des clefs pour atténuer les risques et s’adapter face aux bouleversements engendrés par le changement climatique et la dégradation des écosystèmes. Des solutions existent pour limiter l’emprise humaine sur les sols : densification résidentielle, surélévation du bâti, revégétalisation des espaces imperméabilisés, etc. L’exploration de nouvelles formes urbaines doit s’accélérer.

La France compte 3 millions de logements inoccupés, surtout dans des communes rurales et des agglomérations de moins de 100 000 habitants, et plus de 8 000 sites en friche représentant une surface de 150 000 hectares, soit l’équivalent de sept ans d’artificialisation au rythme actuel. Ce potentiel foncier est à mobiliser en priorité.

En réaction à cette proposition de loi, La LPO a transmis aux sénateurs une série de propositions d'amendements argumentés.

Le Président Emmanuel Macron a déclaré que son second mandat serait écologique ou ne serait pas. Or, l’objectif zéro artificialisation nette est sans doute l’avancée la plus verte de son premier quinquennat. Il serait regrettable de la voir ainsi détricotée peu après sa réélection avec l’aval de son gouvernement. Le sol est à la fois le plus essentiel et le plus négligé de tous les écosystèmes terrestres. Il stocke le carbone, épure l’eau, fertilise les cultures, nourrit les forêts, héberge des millions d’espèces vivantes. De sa survie dépend la nôtre. N’emprisonnons pas la terre dans du béton et de l’asphalte

Allain Bougrain Dubourg

Président de la LPO

Documents à télécharger

Amendements LPO - PPL Sénat ZAN
Cahier d'amendements PPL ZAN - mars 2023
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