Les pièges photos et autres caméras infrarouges nous révèlent une activité parfois inattendue au jardin. De nombreux animaux sortent de leur cachette diurne au crépuscule et commencent à se réveiller alors que nous rentrons dans notre maison. Ils s'affairent à chercher de la nourriture, à parcourir leur territoire, à rechercher un partenaire... Mais pourquoi choisissent-ils de vivre la nuit ?
Les animaux sortent la nuit pour éviter l'Homme
C'est à l'heure où nous rentrons dîner que sortent les chevreuils, les renards, les chauves-souris et les chouettes. Ces animaux deviennent actifs la nuit pour ne pas croiser notre chemin et être plus tranquilles. Il y a cependant différentes catégories d'animaux : ceux dont l'écologie est réellement nocturne, d'autres normalement diurnes mais dont les comportements ont évolué et qui préfèrent aujourd'hui vivre la nuit.
De quoi parle-t-on ? Quelques petites définitions
Animal nocturne : animal principalement actif la nuit. Il est biologiquement adapté à vivre la nuit et dispose de sens développés : ouïe, vision adaptée, touché (ex vibrisse d'un chat)... lui permettant de vivre dans l'obscurité en opposé à une vie diurne : exemples : chouettes, hiboux, engoulevents, chauves-souris, hérisson d'Europe, crapauds, moustiques... Ces animaux nocturnes, qui peuvent à l'occasion s'observer de jour, bénéficient d'une prolifération de proies la nuit et ont moins de risques de se faire capturer par les prédateurs, car ils sont moins visibles.
Espèce lucifuge : en zoologie, désigne un animal qui fuit spontanément la lumière. Les espèces lucifuges sont plus actives dans l'environnement nocturne, en l'absence de pleine lune ou à l'abri du soleil, exemples : taupe d'Europe, lampyre (ver luisant)... Les invertébrés cavernicoles sont typiquement lucifuges puisqu'ils vivent dans l'obscurité permanente : collemboles, certaines araignées, opilions...
Animal diurne : animal principalement actif de jour, en opposition à "nocturne": exemples : verdier d'Europe, pie bavarde, mésanges, écureuil roux, marmotte des Alpes...
Mais comme souvent en écologie, il y a des exceptions et beaucoup d'intermédiaires. Des animaux à l'activité normalement diurne se sont adaptés à la vie "nocturne", principalement en raison de l'activité humaine qui est pour eux source de dérangement. Ainsi, le renard roux, le sanglier, le blaireau ou le chevreuil préfèrent (souvent) vivre la nuit pour être au calme, alors qu'ils sont des mammifères diurnes à l'origine.
Blaireau européen - gravure de Robert Hainard
Selon une étude menée par des chercheurs américains publiée le 15 juin 2018 dans la revue Science, beaucoup de mammifères augmentent leur activité durant la nuit afin d'échapper au "super-prédateur" diurne qu'est l'homme. Les scientifiques se sont appuyés sur l'étude de 62 espèces de mammifères sur 6 continents et ont pu montrer que l'activité nocturne des animaux augmente d'un facteur 1,36 lorsqu'ils vivent à côté des humains, que la présence des humains soit dangereuse ou non.
Hérisson d'Europe (Erinaceus europaeus) pris par un piège photographique © Stéphanie Berens
Le problème de la pollution lumineuse
La pollution lumineuse est un autre facteur qui affecte aussi bien la biologie des espèces diurnes que nocturnes. Un certains nombre d'animaux s'orientent la nuit grâce à la lumière et à la position de la lune et des étoiles (c'est le cas des oiseaux lors des migrations). En présence d'une lumière artificielle (phare, lampadaire...) les oiseaux migrateurs vont tourner autour de la source lumineuse et parfois s'y cogner (phénomène des migrations côtières autour des phares).
Le merle noir, oiseau diurne, commence à chanter en pleine nuit en zone urbaine, du fait des éclairages permanents et non plus seulement au crépuscule. Et ce changement s'est réalisé en l'espace d'à peine 100 ans environ, ce qui est très peu sur le plan de l'évolution. Les papillons de nuits vont quant à eux s'agglutiner autour des ampoules des lampadaires et parfois s'y brûler. Pendant que les femelles des hétérocères (papillons nocturnes) tournent autour des lampes, les mâles ne les fécondent pas.
Les éclairages artificiels des villes ne sont donc pas sans danger pour la faune sauvage. Bon nombre d'espèces animales sont vulnérables à la pollution lumineuse (voir sur ce sujet le Geste Refuge "Je limite les pollutions lumineuses et sonores pour respecter la faune et la flore sauvages").
Observer les animaux nocturnes de mon Refuge
Pour déceler les animaux qui peuplent votre Refuge LPO la nuit, mettez tous vos sens en éveil ! Le repérage des espèces repose sur la détection d'indices, de traces (empreintes, crottes, passages), de l'écoute des sons de la nuit et aussi de savoir profiter de quelques conditions favorables comme d'une pleine lune, une pluie, d'une chaude nuit d'été...
Ouvrez vos oreilles : bien que notre appareil auditif soit moins efficace que celui de la plupart des animaux, restez calmes et silencieux pour essayer de capter la moindre stridulation, cri ou craquement de branche... Mettez vos mains pour agrandir le pavillon de vos oreilles : cela augmente sensiblement la qualité d'écoute ! Pour les chauves-souris qui émettent des ultrasons, des petits boitiers électroniques permettent de les détecter (voir ci-dessous). Sachez également que ces mammifères volants crient, et que ces "vrais" cris, certes aigus, s'entendent simplement à l'oreille.
Pipistrelle en vol © RSPB
Utilisez une lampe de poche ou une frontale : pour observer les insectes nocturnes sur les feuilles, les fleurs, sur le sol. Diriger un faisceaux lumineux vers une petite bête au sol va temporairement stopper son activité et vous pourrez l'observer à loisir sans la capturer. Vous pourrez aussi à l'aide d'un projecteur voir des yeux dans la nuit : du Chat forestier à la fouine en passant par le Renard roux. Attention cependant de ne pas prolonger l'observation au projecteur au-delà que quelques minutes, ce qui pourrait déranger les animaux dans leur maraude.
Certaines fleurs libèrent leur parfum la nuit, comme le chèvrefeuille ou l'onagre, une particularité qui a valu à cette dernière le nom populaire de "belle de nuit" (à ne pas confondre avec Mirabilis jalapa une plante tropicale de la famille des Nyctaginacées qui fleurit aussi de nuit). Elles attirent les phalènes, les sphinx et autres noctuelles (papillons nocturnes) la nuit dans vos massifs.
Affût nocturne : pour installer votre affût, choisissez un endroit que vous aurez repéré de jour, offrant un angle large de vision, vers une clairière, un vallon... Placez vous toujours face au vent, dans un endroit confortable où vous pourrez rester quelques heures sans avoir de crampes, au pied d'un arbre par exemple. Il existe divers matériels de camouflage (tentes, filets de camouflage) dans le commerce spécialisé.
Profitez d'une pluie au printemps ou en été : qui vous permettra d'observer de nombreux amphibiens en migration : salamandres, tritons, grenouilles et crapauds.
De nouveaux outils pour l'observation nocturne
Les fabricants d'optiques ne se sont pas trompés : les naturalistes disposent aujourd'hui de différents instruments facilitant l'observation nocturne. Ces dernières années se sont développés des monoculaires de vision thermique (et des jumelles), instruments optiques de pointe permettant des observations nocturnes précises et détaillées des animaux à sang chaud.
Renard roux (Vulpes vulpes) furetant la nuit © Peter Clayton / iStock photos
Il existe différents modèles de pièges photographiques, petits boitiers fixés à un tronc d'arbre (par exemple) permettant de capturer des photos et des vidéos de grande qualité (4K en vidéo!) d'un animal à plusieurs dizaines de mètres. L'appareil n'émet pas de flash et se déclenche par détection infrarouge. Les animaux ne sont donc pas dérangés. Les images peuvent ensuite être visionnées et triées sur l'ordinateur.
Les adeptes des affûts nocturnes pourront s'équiper de jumelles "classiques" mais très lumineuses : choisir les grossissements 10x54, 8x56 ou 7x42, qui offrent davantage de luminosité avec le grand diamètre d'ouverture de l'objectif. Et pour les passionnés de chauves-souris, il existe des détecteurs d'ultrasons, petits boitiers permettant de rendre audibles l'écholocation des chiroptères, boitiers appelés "batbox".
Pour conclure
Beaucoup d'animaux s'activent la nuit, que ce soit dans le jardin, sur un chemin, dans un forêt. Votre Refuge LPO commence une deuxième journée la nuit ! Et bien sûr, toutes ces espèces sont à respecter dans leur habitat naturel.
Et puis, il ne faut pas penser que tout se passe la nuit non plus. En effet, la majorité des oiseaux européens ont une activité diurne. Et tous les mammifères ne sont pas nocturnes : L'écureuil roux et la marmotte des Alpes sont des mammifères strictement diurnes.
Prenez et profitez de votre sortie nocturne comme un complément des observations du jour. Vous ferez mille et une découvertes !
