Pie-grièche à tête rousse

Conseil Biodiversité
Pie-grièche à tête rousse adulte sur une branche

Pie-grièche à tête rousse adulte © Allain Boullah

Description

Lanius senator

Longueur : 17-19 cm.

La Pie-grièche à tête rousse est noire et blanche avec un « bonnet » roux. Il existe un léger dimorphisme sexuel. Le mâle de la sous-espèce nominale présente une calotte et une nuque rousses, le manteau et le dos sont noirs, le croupion est blanc. Les scapulaires forment un V blanc très distinct sur les parties supérieures. Les ailes sont noires avec un miroir blanc très net à la base des rémiges primaires. Queue noire bordée de blanc. Le masque facial s’étend sur le front, mais une petite zone plus claire est présente juste au-dessus du bec. Le dessous est blanc teinté de beige en plumage frais.

La femelle est plus terne (variable) que le mâle avec une calotte souvent un peu plus claire, un dessus brun sombre plutôt que noir, un masque facial moins marqué, et parfois de fines vermiculures sur le dessous.

Les juvéniles et les oiseaux de 1er hiver ont une coloration de fond brun gris et ressemblent fortement à la jeunes Pie-grièche écorcheur mais le dessus est plus argenté, et les scapulaires et le croupion sont plus clairs rappelant le pattern des adultes.

En France continentale est présente la sous-espèce senator, décrite ci-dessus. En Corse niche exclusivement la sous-espèce badius qui diffère de senator par un bec en moyenne plus fort et surtout par l’absence d’un miroir blanc à la base des rémiges primaires. Cette zone blanche a tendance à manquer complètement chez la femelle, alors qu’elle subsiste parfois, mais de manière très discrète, chez le mâle.

Pie-grièche à tête rousse juvénile  dans l'eau

Pie-grièche à tête rousse juvénile © Emile Barbelette

 

Répartition

La Pie-grièche à tête rousse connaît une répartition avant tout méditerranéenne. Elle niche en effet dans tous les pays qui entourent la Méditerranée, sauf en Egypte où elle n’est que de passage. Sa répartition mondiale correspond globalement assez bien avec celle de l’olivier, arbuste cultivé à répartition largement artificielle, mais caractérisant bien la limite du climat méditerranéen.

L’espèce n’apparait plus que sporadiquement en Belgique et au Luxembourg et ne niche plus qu’exceptionnellement dans d’autres pays comme l’Allemagne et la Suisse.

En France, cette espèce thermophile est absente au nord de l’isotherme de 19° C de juillet qui relie à peu près La Roche-sur-Yon (Vendée) à Charleville-Mézières (Ardennes).

Toutes les populations européennes sont migratrices. L’aire d’hivernage se présente comme une vaste ceinture traversant l’Afrique, entre le sud du Sahara et des zones situées bien au nord des immenses régions forestières. On notera que la sous-espèce badius hiverne dans des pays d’Afrique de l’Ouest donnant sur le golfe de Guinée : surtout Ghana, Togo et sud du Nigéria.

Répartition de la Pie-grièche à tête rousse en France sur les périodes 2005-2012 (en haut, source : Issa & Muller, 2012) et 2016-2019 (en bas, source : Faune France, INPN et Obs’Indre).

Répartition de la Pie-grièche à tête rousse en France sur les périodes 2005-2012 (en haut, source : Issa & Muller, 2012) et 2016-2019 (en bas, source : Faune France, INPN et Obs’Indre).

 

Reproduction

En France, l’arrivée dans les secteurs de nidification connaît généralement un pic dans la deuxième moitié d’avril et au début de mai, mais elle peut localement se poursuivre jusqu’à fin mai, voire début juin.

Mâles et femelles apparaissent souvent ensemble dans leur territoire. Selon certains auteurs, les oiseaux arrivent déjà appariés. Des couples se forment sans doute lors de haltes migratoires, voire dans les quartiers d’hiver, mais ce n’est manifestement pas une règle générale. Des formations de couples dès l’arrivée des femelles, quelques jours après celle des mâles, ont par exemple été notées en Espagne. Dans toute l’aire de répartition, il semble y avoir des mâles célibataires qui chantent tout le printemps.

En Europe centrale et en France, la ponte commence généralement entre le 10 mai et début juin. Les pontes de remplacement sont assez fréquentes et peuvent débuter jusqu’à la mi-juillet. Une seconde ponte normale n’a pas encore été prouvée dans notre pays, mais elle n’est apparemment pas exceptionnelle dans le sud-ouest de l’Espagne où la première ponte peut débuter dès la première décade d’avril.

La Pie-grièche à tête rousse construit son nid dans des arbres ou dans des buissons. Ces derniers sont plus généralement adoptés dans la région méditerranéenne. Le site du nid est choisi par le mâle qui entame sa construction, bientôt aidé par la femelle. L’élaboration du nid dure de 4 à 6 jours.

La ponte normale comprend 5 ou 6 œufs, et la ponte de remplacement 4 ou 5 (extrêmes constatés en Europe : 4 à 9). L’incubation dure 14 à 16 jours et les jeunes restent au nid pendant 15 à 18 jours. Après l’envol, ils sont encore nourris par les parents pendant environ un mois. Les sites de reproduction commencent à être délaissés dès la 2e partie de juillet, parfois même plus tôt en ce qui concerne les couples ayant connu l’échec. La plupart des départs ont cependant lieu au début d’août et des retardataires, surtout de jeunes oiseaux, peuvent être observés jusqu’à mi-septembre, exceptionnellement jusqu’à mi-octobre.

 

Habitat

En France, la physionomie des milieux fréquentés ressemble assez à celle des milieux occupés par la Pie-grièche écorcheur, mais la présence d’arbres semble indispensable, même quand l’espèce niche dans les buissons, comme cela est souvent le cas en région méditerranéenne. La Pie-grièche à tête rousse, bien plus thermophile que sa congénère, niche dans la plaine méditerranéenne, même si elle y est localement rare comme c’est, du moins actuellement, le cas en Provence. Elle monte aussi généralement beaucoup moins haut en montagne que l’Ecorcheur. Sa nidification a cependant été soupçonnée à plus de 1200 m d’altitude en Cerdagne (Pyrénées Orientales).

Dans le domaine méditerranéen, où subsistent les populations les plus denses, l’espèce occupe deux types d’habitats bien distincts :

  • des milieux servant ou ayant servi à l’élevage extensif d’ovins et/ou de caprins. Il s’agit de garrigues, de maquis ou de pelouses sèches avec un assez faible recouvrement (5-20 %) de buissons et/ou d’arbres en formations espacées, parfois traversées par des parcelles cultivées (oliveraies, vignes, …) et piquetées de boqueteaux divers. Les possibilités de perchoirs entre 1 et 4 m de hauteur sont nombreuses et l’essentiel de la nourriture est prise au sol dans une strate herbacée généralement maigre et sèche.
  • des milieux agricoles non concernés par l’élevage. La Pie-grièche à tête rousse peut être assez fréquente dans certains vignobles diversifiés avec présence de bosquets, haies, talus et friches. Le relief de l’étage collinéen lui est particulièrement favorable puisqu’il implique bien souvent une viticulture à petit parcellaire où le linéaire de lisières est plus important et où, souvent, subsistent des taches de garrigue ou des boisements.

Le milieu classique fréquenté hors du domaine méditerranéen est le verger à hautes tiges pâturé par des bovins, des ovins, voire des chevaux et souvent situé à proximité immédiate (vergers familiaux) ou à quelques centaines de mètres d’un village. Le territoire comporte généralement 13 à 30 arbres/ha, parfois davantage, mais peut occasionnellement se résumer à 3 ou 4 arbres alignés dans une pâture. La Pie-grièche à tête rousse trouve dans ce type de milieu une abondance de perchoirs (rameaux des arbres, piquets de clôture) et, quand des animaux sont présents, un terrain de chasse avec une alternance d’herbe haute et d’herbe rase qu’elle apprécie particulièrement.

Le lien entre Pie-grièche à tête rousse et herbivores domestiques est donc très fort. En Alsace, lors d’une étude à long terme, on a constaté que des pies-grièches de retour dans leur ancien territoire le délaissent très vite si les bovins ou les moutons ne sont plus (ou pas encore) présents ; on retrouve ensuite les oiseaux dans des vergers pâturés, parfois à plusieurs kilomètres de là. Dans les vergers, ce sont les arbres fruitiers (pommiers, pruniers, poiriers et, dans une moindre mesure, mirabelliers et d’autres essences : noyers, chênes, etc. qui abritent la plupart des nids.

Des paysages bocagers sont également favorables à l’espèce. Ce type de milieu est, entre autres, encore localement répandu en Bourgogne grâce à l’élevage de bovins. Dans la région Auxois/Arnétois (Côte d’Or), cette pie-grièche niche parfois dans des haies arborées, mais surtout sur des arbres épars ou dans des alignements d’arbres au sein de parcelles pâturées. Les nids sont généralement situés dans des chênes ou frênes d’une hauteur comprise entre 14 et 22 m.

En Corse, la race badius dépasse rarement 800 m d’altitude et s’avère localement absente au cap Corse. Comme milieux fréquentés, sont cités des habitats humides, abords des ruisseaux et des étangs, prairies artificielles, vergers et parfois lisières de forêts. La sous-espèce badius semble fréquenter des ensembles plus arborés que ceux fréquentés par la race nominale dans la région méditerranéenne continentale. Cela s’explique peut-être en partie par la présence en Corse de la Pie-grièche écorcheur. Une concurrence interspécifique replacerait chaque espèce dans ses habitats spécifiques.

Habitat de reproduction de la Pie-grièche à tête rousse dans le Nord-Est de la France (source : solagro.org)

Habitat de reproduction de la Pie-grièche à tête rousse dans le Nord-Est de la France (source : solagro.org)

 

Alimentation

La chasse à l’affût est la plus fréquente. Elle est pratiquée à partir de perchoirs compris entre 1 et 4 mètres de hauteur. Cette technique permet à l’espèce de capturer entre 65 et 80 % de ses proies au sol. Par beau temps, beaucoup d’insectes sont également capturés dans l’espace aérien. Le vol stationnaire n’est qu’occasionnel chez cette pie-grièche qui peut aussi rechercher de petits invertébrés au sol en sautillant. Une partie des proies est empalée, mais cette pratique paraît irrégulière, variable selon les régions et les individus. D’après des analyses de pelotes en Allemagne et diverses observations de terrain, les proies sont surtout constituées d’insectes, principalement des coléoptères (Carabidés, Elatéridés, Scarabéidés, …) et des orthoptères (Gryllidés, Tettigonidés, Gryllotalpidés, …).

 

Effectifs et tendances

D’après les chiffres de BirdLife International (2021) la population européenne de Pie-grièche à tête rousse comprendrait entre 1 930 000 et 3 120 000 couples. L’Europe héberge environ 65% des effectifs, la population mondiale pourrait être grossièrement estimée à 2 970 000 – 4 805 000 couples. L’espèce est très commune en Espagne, qui constitue son bastion principal, avec une population estimée entre 1 790 000 et 2 810 000 couples. Elle est également bien représentée au Portugal, en Grèce et en Bulgarie. Cependant, depuis les années 1960, l’érosion de ses effectifs en Europe est manifeste aux latitudes moyennes, et son aire de répartition a progressivement reculé vers le sud. Ainsi, les différents suivis ont mis en évidence un déclin rapide des populations européennes aux cours des 10 dernières années, de l’ordre de 25%, notamment dans les pays situés à la limite ouest de son aire de distribution.

En France, la Pie grièche à tête rousse était bien plus répandue à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle. A cette époque, son aire de répartition s’étendait même jusqu’en Bretagne (Morbihan) et jusqu’en Normandie (Seine-Maritime, Eure). Elle était aussi beaucoup plus fréquente dans la partie septentrionale de son aire de répartition actuelle. Au cours du 20ème siècle, l’aire de nidification de cette pie-grièche a reculé progressivement vers le sud-est avec une forte accélération dès les années 1960. A partir des années 1980, une très forte raréfaction a également lieu dans les régions méditerranéennes, notamment en PACA. En effet, la population nicheuse actuelle y fluctue entre 40 et 80 couples seulement, alors qu’en 1983, on donnait une estimation de 800 couples rien que pour le département du Vaucluse. Entre 1993 et 1994, une enquête nationale a permis de proposer une fourchette de 6900 à 12 700 couples nichant sur le territoire. On estime aujourd’hui que les effectifs de la population française seraient compris entre 4000 et 5000 couples.

Estimation des effectifs nicheurs (nbr de couples) et des tendances de population de Pie-grièche à tête rousse dans les différents pays d’Europe. Pour l’estimation des tendances « + » correspond à une augmentation, « - » : diminution, « 0 » : stabilité (variation de +/- 20%) et « ? » : inconnu (pas de données disponibles). En orange figurent les pays appartenant à l’Union Européenne.

Estimation des effectifs nicheurs (nbr de couples) et des tendances de population de Pie-grièche à tête rousse dans les différents pays d’Europe. Pour l’estimation des tendances « + » correspond à une augmentation, « - » : diminution, « 0 » : stabilité (variation de +/- 20%) et « ? » : inconnu (pas de données disponibles). En orange figurent les pays appartenant à l’Union Européenne.

 

Menaces

1-Disparition de l’habitat sur les zones de nidification

Dans les milieux semi-naturels de Méditerranée, la Pie-grièche à tête rousse pâtit de la fermeture du milieu suite au déclin du pastoralisme. En cas d’abandon de l’élevage extensif, les territoires fréquentés se trouvent en effet menacés par l’augmentation de la densité en buissons et la diminution de la superficie de pelouse sèche. Cette fermeture du milieu entraine au cours du temps la raréfaction des communautés d’oiseaux inféodés aux milieux ouverts et semi-ouverts, tel que la Pie-grièche à tête rousse.

Dans les milieux méditerranéens agricoles de plaine l’espèce est principalement menacée par les opérations de remembrement parcellaires : élimination des haies, utilisation accrue de pesticides, ...

Dans la partie septentrionale de son aire de répartition en France, la Pie-grièche à tête rousse souffre de manière générale de l’intensification de l’agriculture et plus précisément du déclin des formes extensives d’agriculture liées à la polyculture-élevage ou à l’élevage des bovins et des ovins. La régression du pâturage dans les zones de vergers est susceptible d’être particulièrement défavorable à l’espèce ainsi, bien sûr, que la disparition pure et simple des vergers traditionnels au profit d’exploitations industrielles.

2-Dégradation de la qualité de l’habitat sur les zones de nidification

Outre la disparition de son milieu de vie, c’est aussi une dégradation de la qualité des habitats existants qui conduit vraisemblablement à un déclin de la Pie-grièche à tête rousse et des pies-grièches en général. En effet, une fertilisation excessive des prairies entraîne un appauvrissement du cortège floristique et donc d’insectes. Les ressources trophiques se font ainsi moins abondantes ce qui réduit le succès reproducteur. De même les vermifuges utilisés sur les animaux domestiques fréquentant les milieux à Pie-grièche à tête rousse, et les produits phytosanitaires en général réduisent la disponibilité en insectes et sont susceptibles de causer des empoisonnements secondaires sur les pies-grièches.

3-Conditions d’hivernage

La Pie-grièche à tête rousse passe à peine trois mois dans son territoire de nidification. L’essentiel de son cycle de vie se passe ainsi le long des voies migratoires et dans ses quartiers d’hiver africains. L’aire d’hivernage de cette pie-grièche englobe une vaste région connue pour ses aléas climatiques : le Sahel. Les pluies sont très irrégulières dans cette région et leur absence fréquente se fait lourdement sentir sur les milieux. Il est probable que les fluctuations observées dans des milieux stables en Europe soient également en partie dues à des conditions changeantes dans l’aire d’hivernage. L’impact du changement climatique sur la Pie-grièche à tête rousse reste à déterminer plus précisément mais si les épisodes de sécheresse au Sahel devaient se faire plus fréquents, il est probable que cela aurait un impact négatif sur ses populations.

4-Chasse

La Pie-grièche à tête rousse souffre aussi du piégeage et de la chasse sur le pourtour méditerranéen (Proche Orient, Afrique du Nord, Malte et peut-être dans certains pays d’Europe méridionale) lors de sa migration.

 

Statut légal de protection

Au niveau Européen, la Pie-Grièche à tête rousse est inscrite à l’annexe II de la convention de Berne, relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe, en tant qu’espèce de faune strictement protégée.

En France, l’espèce est protégée par l’arrêté ministériel du 09 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection. Ce texte interdit notamment la destruction des oiseaux, des œufs et des nids, ainsi que la dégradation ou la destruction des sites de reproduction et des sites de repos des animaux. Il est également interdit la détention, le transport et le commerce des individus.

Par ailleurs, l’espèce figure également au sein de l’arrêté ministériel du 6 janvier 2020 fixant la liste des espèces animales et végétales à la protection desquelles il ne peut être dérogé qu'après avis du Conseil National de la Protection de la Nature.