Une abeille presque comme les autres
L'abeille domestique Apis mellifera a fait beaucoup parler d'elle ces dernières années, mais n'est pas la seule à prétendre au titre d'abeille. 20 000 espèces connues dans le monde – excusez du peu – peuvent concourir pour cette appellation. Parmi celles-ci, on ne trouve pas que des pollinisatrices, mais aussi des phytophages, et beaucoup de parasites. La plupart vivent seules, quelques-unes en groupe, mais très peu forment de véritables colonies pérennes d'une année sur l'autre.
Dans cette multitude, on trouve en France 36 espèces d'abeilles solitaires « osmie » . Il s'agit des abeilles « maçonnes ». Elles ne font pas véritablement de ruches, mais s'installent dans toutes sortes de cavités. Il peut s'agir de tiges creuses, de galeries dans les murs, les pierres tendres, ou directement dans le sol, mais aussi dans les boiseries, dans les écoulements d'eau des châssis de fenêtre, ou encore d'autres galeries creusées par d'autres hyménoptères…...et voire même des coquilles d'escargots.
Prenons quelques instants pour observer l'une d'entre elles. Par exemple Osmia cornuta, l'Osmie cornue.
Rien de plus simple pour la reconnaître me diriez-vous, elle a des cornes entre les antennes et les mandibules... Sauf que ce n'est pas la seule abeille à en avoir, et que les mâles n'en ont pas. Ils disposent à la place d'une toison blanche au niveau de la face et des mandibules. Misons donc aussi sur la couleur rousse vive de son abdomen, ainsi que sur noir du reste du corps.
Pour les plus experts, il faut se focaliser sur la présence de 2 cellules cubitales au niveau de l'aile antérieure pour la distinguer à coup sûr (mais si, rappelez-vous, les abeilles sont des hyménoptères [hymen-o-ptères], c'est-à-dire des insectes avec 2 paires d'ailes attachées l'une à l'autre – la bête a donc bien des ailes antérieures et postérieures.)
Mais pourquoi parler de la Cornue et pas d'une autre, puisqu'il y en a tant ?
C'est-à-dire que celle-ci intéresse – ou en tout cas devrait intéresser de près – tous les arboriculteurs et autres propriétaires de vergers. C'est que cette abeille solitaire est aussi agressive qu'elle est frileuse, c'est-à-dire... pas du tout. Elle sort généralement de son trou à la mi-mars, dès que les températures dépassent les 12 à 14°. C'est donc l'un des tout premiers pollinisateurs à se manifester. Il est donc intéressant à favoriser pour la culture de toutes les espèces fruitières précoces, comme l'amandier ou l'abricotier. L'abeille apprécie aussi le pollen des Rosacées, Brassicacées (anciennement Crucifères), Salicacées, et Fabacées (anciennement Papilionacées). Elle ne fait pas vraiment la fine bouche.
Des trous pour les abeilles
L'osmie est assez fidèle à son lieu de naissance. Cela favorise son installation sur des sites de cultures, ou simplement dans un jardin. Un nichoir fait d'une bûche percée, de planchettes de bois rainurées superposées (non traitées) ou de tubes liés ensemble peut lui convenir. Les tubes de bambous ou des cannes de roseau disposées horizontalement conviennent parfaitement. Les trous doivent faire environ 8 mm de diamètre et être protégés de la pluie et des grands froids. Des tubes en verre ou en plastique transparents peuvent permettre de faire de très belles observations de l'évolution des larves. L'orientation optimale semble être l'ouest et le nord. Pour éviter le développement de moisissures, les nichoirs doivent être protégés de la pluie.
L'osmie commence par nettoyer consciencieusement la galerie de fond en comble. Elle va ensuite y pondre ses œufs (jusqu'à une quinzaine). Mais pas n'importe comment, s'il vous plait. Pour chacun d'eux, elle construira une logette individuelle, refermée d'un opercule de terre humide. Elle n'aura pas oublié de la garnir d'une boulette de pollen et de nectar amalgamés, nécessaire au parfait développement de la larve. Chaque cellule bouche la précédente le long de la galerie, qui sera elle-même obturée complètement, après la création d'une ou deux cellules vides. Si le temps est clément, l'osmie pourra occuper et combler de cette manière une seconde cavité au cours de la saison, voire même une troisième...
Tout ces travaux ne se font pas instantanément. Il faudra bien deux semaines pour terminer l'ouvrage, ce qui implique que les derniers œufs pondus ont du retard sur les premiers. Fort heureusement, il se trouve que les premiers donnent toujours naissance à des femelles, dont le temps de gestation est plus long. Les mâles, pondus à la fin et donc près de la sortie, se développeront plus vite... Et donc, tout ce beau monde se retrouve adulte quasiment en même temps... à moins qu'une mouche parasite n'ait profité de la suractivité de la mère pour pondre ses propres œufs dans les logettes.
Ennemi à l'horizon
Ce travail méticuleux de maçonnerie attire en effet l'attention d'un sombre individu à l'œil rouge répondant au nom de Cacoxenus indagator.
Ce cleptoparasite rôde autour du nid, observant le manège de l'osmie en train de confectionner sa pâtée pollinique. Il profitera de ses allers-retours pour pondre ses propres œufs sur l'amalgame nourricier. Ses larves prendront de vitesse celles de la Cornue, festoieront de ses réserves et profiteront de l'abri pour l'hiver. Elles perforeront les galeries début mars avant de se changer en pupe pour la nymphose. Les larves de l'abeille ne survivront pas à ce pillage en règle.
Cet ennemi de l'Osmie cornue n'est cependant pas le plus grand de ses soucis. Ses problèmes concernent bien plus l'usage des insecticides. L'abeille a disparu des zones de cultures intensives. On ne la retrouve la plupart du temps qu'en ville, dans les jardins, les friches, etc. Un premier pas pour profiter de ses services serait d'arrêter la chimie, incompatible avec sa présence.