La Zoropse à pattes épineuses

Conseil Biodiversité
Mâle subadulte Zoropsis spinimana de près

Mâle subadulte Zoropsis spinimana, photographié par Jean Philippe Taberlet

Une Araignée - Loup ?

Zoropsis spinimana est souvent prise pour une araignée de la famille des “Araignée-Loup”, les Lycosidae, ces araignées principalement connues pour les sacs d’oeufs que les femelles portent sur leur abdomen. Zoropsis spinimana est-elle une Araignée-Loup (Lycosidae) ? Zoropsis spinimana appartient à la super-famille des Lycosoidea facilement confondue avec les Lycosidae. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser en voyant cette araignée, elle ne fait pas partie des araignées-loups. Les allemands la nommèrent “Nosferatu-Spinne” en référence à un vampire issu du film muet allemand "Nosferatu, eine Symphonie des Grauens”, réalisé par Friedrich Wilhelm Murnaue en 1922. Dans le film, le personnage de Nosferatu (visible sur l’affiche originale) est représenté avec des dents pointues et de longs membres, et le dessin thoracique de la zoropse ferait penser au visage de Nosferatu… De quoi faire des cauchemars rien qu’en la voyant !

Mais à quoi ressemble donc cette fameuse “Araignée vampire” ? Est-elle si terrifiante ?

Description morphologique de l’espèce

Zoropsis spinimana est une araignée qui présente un dimorphisme sexuel. Les mâles, généralement plus petits, mesurent entre 10 et 13 millimètres, tandis que les femelles peuvent mesurer entre 10 et 19 millimètres. Si on compte les pattes Zoropsis spinimana peut atteindre 8 centimètres. Son corps est de couleur brun clair, tacheté. Une des caractéristiques principales est le dessin dorsal qu’elle porte sur son céphalothorax. Tête de mort, tête de Nosferatu ou masque, toujours est-il que ce dessin thoracique est très reconnaissable et correspond à la signature morphologique de cette espèce.

Zoropsis spinimana mâle, son masque s’étend le long du céphalothorax et ces trois points noirs alignés sur l’abdomen sont des taches cardiaques et indiquent l’espèce. Photographié par Andreas Eichler

Zoropsis spinimana mâle. Photographié par Andreas Eichler

Avant de s’attaquer aux détails morphologiques, retournons à nos manuels et plongeons dans l’anatomie des araignées afin de comprendre les termes.

 

Anatomie d'une Zoropsis spinimana, adapté depuis Dufour, 1820.

Anatomie d'une Zoropsis spinimana, adapté depuis Dufour, 1820.

Les araignées ont un corps divisé en deux parties, le céphalothorax et l'abdomen. Le céphalothorax est doté de six paires d'appendices spécialisés : une paire de chélicères, une paire de pédipalpes pour la perception sensorielle et la manipulation de la nourriture, ainsi que quatre paires de pattes locomotrices. Les araignées utilisent leurs chélicères en forme de crochet, qui sont munies de glandes à venin, pour attaquer leur proie. Les filières sont des organes spécialisés situés à l'arrière de l'abdomen de l'araignée et sont responsables de la production de la soie. Ces organes transforment la fibroïne en fibres qui durcissent et deviennent de la soie. Chaque espèce d'araignée a son propre modèle de toile, qui est un comportement héréditaire. Les araignées réussissent à faire leur toile dès le premier essai sans nécessiter d'apprentissage.

La zoropse à pattes épineuses possède (comme son nom l’indique) des pattes épineuses, une autre caractéristique morphologique qui permet de la reconnaître et l’identifier. C’est une araignée cribellate. Elle possède un cribellum, organe spécialisé localisé sur les filières qui produit une toile dite « cribellée ». Cette toile est « peignée » par le calamistrum, des poils spécialisés présents sur la quatrième paire de pattes. Ces poils permettent à la toile une architecture particulière de telle sorte que les petits insectes que la zoropse chasse, se retrouvent coincés. Ces toiles ne collent pas et ne possèdent pas de gouttelettes de glu.

En France, on retrouve principalement deux espèces : Z. spinimana et Z. media, respectivement dans la partie septentrionale de la France (Z. spinimana) et dans la région méditerranéenne (Z. media). Néanmoins, ces deux espèces se retrouvent dans toute la France métropolitaine.

Toiles cribellates, formées de soies crépues, non collantes. Photographie disponible sur le blog "Insecte de mon jardin"

Toiles cribellates, formées de soies crépues, non collantes. Photographie disponible sur le blog "Insecte de mon jardin"

La zoropse à pattes épineuses est certainement l’une des araignées françaises les plus terrifiantes, sa grande envergure, ses longues pattes, son dessin thoracique rappelant la tête d’un vampire et son abdomen imposant font frissonner même les amateurs chevronnés. Néanmoins, est-elle réellement dangereuse, quels sont son mode de vie, son alimentation, son comportement ? Mieux comprendre la Zoropse est aussi une façon de dédiaboliser cet animal fascinant.

Écologie de l’espèce

Aire de répartition et habitat, une habituée de nos maisons !

Aire de répartition de Zoropsis spinimana selon les observations iNaturalist

Zoropsis spinimana (Dufour, 1820) est le représentant le plus répandu de ce genre. Son aire de répartition naturelle était à l'origine dans la Méditerranée occidentale (Nadolny, 2016), Plus tard, Z. spinimana a été observé en Europe occidentale et centrale, ainsi qu'en Europe de l'Est. Dans tous les endroits non méditerranéens, Z. spinimana a été collecté dans des localités urbaines.

C’est une araignée qui aime les endroits secs et chauds, les coins protégés, à l’abri des conditions environnementales défavorables pour sa survie. Elle s’acclimate parfaitement à la vie urbaine, notamment en devenant la colocataire de nombreux humains. C’est une araignée qui possède une aire de répartition particulièrement large, sa niche écologique est vaste et son mode de vie est plutôt généraliste. Ces traits d’histoire de vie expliquent l’aire de répartition de la zoropse, qui peut vivre dans des milieux subtropicaux, continentaux, tempérés ou subarctiques. La Zoropsis spinimana a été récemment signalée en Allemagne et en Suisse, probablement transportée par l'homme le long des axes de transport principaux. La survie de cette espèce plus au Nord pourrait être due au réchauffement climatique. D'autres espèces d'araignées ont également été signalées dans des régions plus septentrionales, ce qui pourrait être lié à la hausse des températures moyennes (Hänggi & Bolzern, 2006).

Z. spinimana était connue pour vivre dans la forêt, sous les roches ou sous les écorces, dans des endroits secs et chauds. Néanmoins, des récentes observations signalent un changement d’habitat chez cette espèce qui préfère les maisons et appartements, c’est pour cela qu’on la retrouve préférentiellement près des habitations humaines. C’est ce qu’on appelle une espèce synanthropique (Nedvěd et al., 2011). Néanmoins, si vous la rencontrez dans votre maison, ne vous inquiétez pas, sa morsure est équivalente à celle d’un moustique et son comportement suggère qu’elle n’est pas très agressive, elle cherchera toujours la fuite et n’attaquera qu’en dernière nécessité, en atteste les deux chercheurs ayant cherché à se faire mordre et qui ont témoigné de cette morsure (Nentwig et al., 2022).

Une mère totalement dévouée pour sa progéniture

La zoropse à tête épineuse pond des oeufs en automne, dans des sacs d’oeufs. Généralement, elle se repose sur ses oeufs et les protège jusqu’à leur éclosion, elle meurt directement après l’éclosion.

Afin de pouvoir se reproduire, c’est aux mâles de trouver des stratégies séductrices pour plaire à la femelle et prouver de sa « qualité génétique », le plus souvent en tapant le sol et en émettant des ondes sismiques pour attirer les femelles et en effectuant une parade nuptiale en bougeant les deux pattes avant. D’après une étude sur les Zoropsidae de façon générale, les chercheurs ont montré que la couleur des pattes n'influence pas le succès reproducteur, bien que les mâles les mieux nourris présentaient des pattes significativement plus foncées, mais la vitesse du mouvement des deux pattes avant est ce qui attire le plus les femelles (Zhang et al., 2019).

Sac d’oeufs d’une araignée de la famille des Zoropsidae

Sac d’oeufs d’une araignée de la famille des Zoropsidae

 

La compétition entre les mâles pour l’accès aux femelles est primordiale dans le succès reproducteur. Seuls les mâles les plus compétiteurs pourront tenter de se reproduire avec les femelles. Sans surprise, les mâles les plus gros ont plus de chance de se reproduire car ils ont plus de chance de gagner leur impitoyable duel. Plusieurs caractéristiques permettent aux mâles de prendre l’ascendant : le poids corporel, la taille des chélicères et sans suspense, la taille de leur corps. Néanmoins, ces caractéristiques ne sont pas exhaustives, puisque l’expérience, la motivation et la personnalité peuvent influer sur le succès reproductif de cette espèce (Yancey et al., 2018). Il a été également montré que les mâles font preuve d’une « plasticité comportementale », c’est-à-dire que leur comportement est modulé par des facteurs environnementaux. Par exemple, les mâles peuvent se reproduire plusieurs fois avec la même femelle durant les jours qui suivent pour s’assurer de leur paternité.

Zoropsis femelle sur son cocon, entourée de plusieurs jeunes araignées fraîchement écloses. Photos : Benjamin Eggs

Zoropsis femelle sur son cocon. Photos : Benjamin Eggs

 

Dans l’étude de Zhang et al. (2019), les chercheurs ont tenté de caractériser les traits responsables de la victoire d’un mâle sur l’autre. Ils ont pu mettre en évidence que les mâles qui perdaient leur premier combat, pouvaient gagner l’accès à la femelle en battant le vainqueur qui protégeait sa femelle avec laquelle il s’était reproduit. Cela suggère une plasticité comportementale : le mâle perdant au lieu de chercher une autre femelle, va se battre à nouveau dans un contexte où il est physiquement plus apte (pas d’énergie allouée à la reproduction). De plus, la taille ne compte pas forcément, les mâles qui attaquent avec le plus d’intensité (volonté) sont ceux qui gagnent le plus fréquemment, même s’ils sont plus petits que leur adversaire. Néanmoins, ces résultats sont à prendre avec des pincettes car l’étude a été menée sur une grande diversité d’espèces de la famille des Zoropsidae et le comportement de chaque espèce n’est pas exactement le même. Cette étude permet de dresser une synthèse des comportements reproducteurs des mâles chez les Zoropsidae. Chez les mâles Z. spinimana, les faibles études et observations nous indiquent qu’ils utilisent leurs pédipalpes en forme de « gants de boxe » pour se battre.

Photographie d'une Zoropsis mâle. Ces pédipalpes en forme de "gants de boxes" sont caractéristiques.

Photographie d'une Zoropsis mâle. Ces pédipalpes en forme de "gants de boxes" sont caractéristiques.

 

Une chasseuse sans toile !

La zoropse à patte épineuse porte définitivement bien son nom ! Sur la face ventrale de ses pattes se trouvent des poils adhésifs appelés les scopules. Ce sont des structures spécialisées situées sur les pattes des araignées. Ce sont de petites griffes ou épines, souvent en forme de peigne ou de brosse, qui aident les araignées à adhérer aux surfaces verticales et à saisir leurs proies. Les scopules sont particulièrement importants pour les araignées qui chassent sans toile, car elles doivent être capables de courir rapidement sur des surfaces lisses pour attraper leurs proies. Comme l’indique la figure 10, ces scopules se dressent et permettent de capturer la proie (ici un pauvre criquet), de la saisir avant de planter ses chélicères et d’injecter un venin qui immobilise la proie. La zoropse va ensuite injecter des enzymes digestifs dans sa proie immobilisée pour « aspirer » sa proie ingérée sous forme liquide (la nature peut parfois être cruelle). Le comportement de chasse de la zoropse est typique de celui des Araignées-Loup. Elle se met en embuscade, attend de sentir les vibrations sur la surface grâce à ses pédipalpes, et lorsque la proie est suffisamment proche elle lance ses deux pattes antérieures pour agripper sa proie avant de l’immobiliser. La zoropse se nourrit principalement de petits arthropodes et parfois de petites araignées. Néanmoins, elle n’aime pas les proies trop grosses qui pourraient s’échapper de son emprise (Eggs et al., 2015).

Si tout cela vous a glacé le sang, pas de panique, les chélicères de la zoropse ne peuvent pas transpercer notre peau, sauf si vous cherchez délibérément à vous faire mordre, mais en aucun cas le venin n’aura un effet sur notre corps.

 

Technique de chasse de Zoropsis spinimana, d'après Eggs

Technique de chasse de Zoropsis spinimana, d'après Eggs

 

Effectifs, tendances et statut : une araignée oubliée…

Bien que cette araignée soit présente dans tout le territoire métropolitain et qu’elle ait été recensée récemment dans d’autres pays comme dans les pays de l’Est, ou aux Etats-Unis, son statut de conservation n’a pas encore été étudié. Néanmoins, comme le suggèrent les relevés, cette araignée est synanthropique et de ce fait n’est pas menacée par le changement climatique et les activités humaines. Au contraire, cette espèce pourrait bien voir son aire de répartition augmenter car toutes les conditions pour sa survie sont réunies dans nos foyers.

 

Le saviez-vous ?

La femelle zoropse est capable de stocker les oeufs dans une large spermathèque et ainsi, de porter la progéniture de différents mâles. On appelle cela la superovulation et la superfécondation. Elle partage ce trait, avec une espèce invasive de notre territoire métropolitain, le Vison d’Amérique. Néanmoins, contrairement au vison, la zoropse ne fait pas partie des espèces exotiques envahissantes (la colonisation de territoires qu’elle n'occupait pas est considérée comme une “migration climatique” et non pas comme une introduction anthropique, et la naturalisation de la Zoropse au milieu nouvellement colonisé ne se fait pas au détriment d’autres espèces) mais pourrait être qualifiée d’opportuniste.

Article rédigé par un adhérent de la LPO Île-de-France